Cela faisait de nombreuses années que je caressais l'espoir de retourner dans le second siphon de la Bossi. Cette exploration aurait dû se faire en compagnie de Jacques Brasey dit "Tom Pouce" mais malheureusement le destin implacable en a fait autrement.
En son temps (1992-1993) Jean-Jacques ne s'était pas senti de force pour passer le S1 et s'était contenté si l'on peut dire, d'explorer le rétrécissement du fond pendant que Jean-Louis Camus et moi passions le S1 et que je réussissais à tremper mes palmes dans le S2. A cette occasion j'avais aussi tenté une petite escalade libre d'un puits s'élevant au-dessus de la vasque du siphon à l'intérieur de la montagne. En 2004 j'avais tenté en solitaire d'explorer le S2, le vieux fil n'était plus en place et après avoir parcouru un vingtaine de mètres de galerie, je me retrouvai à peiner comme en 1993, à tenter de passer une étroiture. Ayant compris que je n'avais pas choisi pour cela la bonne configuration matérielle, je compris la leçon.
En 2005 une rencontre avec Stefano, un ami qui travaille à l'Institut des Sciences de la Terre du canton du Tessin réveille mon intérêt, jamais complètement éteint, pour la Bossi. C'est ainsi que nous convenons avec le Dr Silvio Seno directeur de l'Institut, d'un plan d'exploration avec expérimentation scientifique post-siphon.
L'évolution des techniques et du matériel de plongée, durant la dernière décennie a permis de réduire considérablement les temps de plongée ainsi que les risques afférents à une telle entreprise. La chose se présente maintenant sous des auspices plus favorables. Cette fois-ci Jean-Jacques est tout disposé à passer le S1 pour venir m'assurer durant l'escalade, Roberto viendra tourner des reprises derrière le siphon, Lorenzo s'occupera des photos jusqu'après le rétrécissement au point bas à -89m et Stefano avec Flavio nous feront d'assistance. Matthias sera notre hôte et prendra lui aussi quelques photos. La météo le permettant, l'expédition se déroulera entre le 2 et le 5 mai 2005.
Première phase
Lundi 2. Roberto et moi sommes en retard sur les horaires et nous n'arriverons certainement pas les premiers à la source. Nous rencontrerons Lorenzo à la frontière de Chiasso et Jean-Jacques, Stefano et Flavio sur place. C'est à 11h00 du matin que nous arrivons à la source pour nous faire sermonner par les tessinois lesquels ont été "ponctuels", eux! Nous nous dépêchons alors de décharger le véhicule et nous affairons à préparer nos bouteilles de décompression, nos bouteilles de sécurité et celles de progression pour ceux qui plongeront en circuit ouvert. Nous sommes six, dont Stefano et Flavio en circuit ouvert, Jean-Jacques avec un SCR passif Recy01, Lorenzo avec un CCR Buddy Inspiration, Roberto et moi avec un CCR Voyager.
Stefano et Flavio vont déposer une bouteille de 10 l à -6m et une de 7 l de Nitrox 80 à -12m et à -21m deux bouteilles de 15 l, une de 20 l, une de 15 l et trois de 7 l . Moi, je transporte une bouteille de 15 l posée à -21m au-delà de l'étroiture à -89m. Au retour, je trouve Roberto qui effectue sa première plongée dans la Bossi et qui est occupé à filmer dans l'étroiture. Nous remontons ensemble et rencontrons à -80m Lorenzo qui fait des photographies. Jean-Jacques s'en va lui, tout seul jeter un coup d'œil au passage à -89m.
Mardi 3, nous sommes trois prêts à aller au-delà du S1: Jean-Jacques, Roberto et moi. J'emporte un sac avec deux bouteilles de 4 l pour plonger le S2, Jean-Jacques emporte un sac avec deux bouteilles de décompression, une 4 l de Nitrox et une 2 l d'oxygène. Roberto emporte la camera vidéo laquelle à toutes les qualités que l'on veut bien lui prêter hormis la compacité ! Lorenzo fera des photographies durant notre passage dans la galerie jusqu'à -70m, Flavio portera de -21m à -70m la bouteille de 20 l et de -21m à -50m sa bouteille de secours pendant que Stefano nous rendra visite durant la décompression. Le passage dans la zone profonde est rapide: Roberto réussit à tourner pendant que je prends la bouteille que j'avais laissé la veille à -80m pour l'emmener à environ -40m. Roberto me signale que son VR3 s'est éteint sous l'eau. Nous ferons donc notre décompression ensemble en basant sur le mien, car nous avons exactement le même profil de plongée. Les images tournées seront certainement bonnes, si l'on tient compte du fait qu'avec les circuits fermés nous ne relâchons pas de bulles et le peu qui en est généré l'est durant la remontée et n'a pas d'incidence notable sur la visibilité: ce n'est que vers -33m que celle-ci se dégrade pour immédiatement se rétablir, certainement grâce à un changement de direction de la galerie. J'installe des élastiques aux deux intersections que nous rencontrons afin que Jean-Jacques puisse suivre le même chemin que nous. Nous réussissons ensuite à passer rapidement sans soulever trop de sédiments la dernière partie de la galerie, la pire en ce qui concerne la visibilité et nous faisons surface après 55'.
Rapidement nous nous déséquipons et à peine avons enlevé nos recycleurs que Jean-Jacques fait surface lui aussi; nous fermons les robinets des bouteilles, rangeons tout le petit matériel à l'abri loin de la flaque d'eau, qui après tout ces va et vient, n'a plus rien à envier à une tasse de café au lait !
Nous regardons autour de nous et je décris de mémoire à mes compagnons le peu qui se dérobe encore à nos yeux et que je connais déjà. Pendant que nous bavardons, j'ouvre mon sac pour préparer le matériel nécessaire à la plongée du S2 et histoire de mettre un peu d'ambiance j'annonce sereinement avoir oublié le harnais de plongée sidemount ! Je rumine un peu cherchant une idée pour tenter quand même de plonger avec le matériel à notre disposition, mais connaissant les difficultés du S2 je décide de reporter la tentative au jeudi. Il ne nous reste rien d'autre à faire que d'aller voir le puits qui s'ouvre au-dessus du petit lac: je monte en premier suivi par Jean-Jacques puis, après l'avoir convaincu, par Roberto, lequel est peu habitué aux parcours spéléo. Arrivé au point que j'avais déjà atteint de nombreuses années auparavant, je discute avec Jean-Jacques sur les modalités de poursuite de l'escalade; avec des cordes et une perceuse cela devrait pouvoir se faire sans trop d'encombre. Nous sommes en avance sur le planning et restons alors à deviser quelque peu avant de rentrer de manière à être ponctuels pour le rendez-vous de décompression.
Roberto et moi sommes les premiers à partir et durant la descente nous consacrons un peu de temps pour tourner des images ce qui permet à Jean-Jacques de nous rejoindre juste après le point bas. C'est alors qu'une "course" effrénée se déclenche entre nous, chacun voulant être le premier à arriver dans les parties étroites du départ de la galerie. Les décompressions étant dissemblables, Jean-Jacques nous dépasse nous saluant d'un signe de la main, puis c'est moi qui le dépasse en le resaluant pendant que Roberto amusé nous observe. Stefano vient à notre rencontre et après avoir constaté que tout va bien, poursuit son chemin pour aller installer ses bouteilles. Nous voici maintenant à -21m et à nouveau c'est Jean-Jacques qui prend l'avantage; je triche légèrement sur la déco et je reprends la main en passant en premier l'étroiture à -12m. Maintenant je ne me laisse plus dépasser, même si Jean-Jacques tente à nouveau en me poussant sur le côté. Nous refaisons surface à l'air libre après 55'.
Le mercredi 4 est une journée de repos, nous nous retrouvons vers 10h00 du matin à la source et attendons l'arrivée d'une équipe de la TSI (Télévision de la Suisse Italienne), laquelle après avoir pris connaissance du communiqué de presse à trouvé qu'il serait intéressant de venir nous interviewer. C'est d'abord le directeur de l'Institut des Sciences de la Terre, le Dr. Silvio Seno qui arrive puis ce sont les techniciens, puis encore la journaliste. Quelques minutes plus tard c'est le système de transmission mobile de la TSI qui arrive à son tour ainsi qu'une radio locale, divers journalistes et photographes. Après m'être entretenu avec toutes les personnes intéressées, vers 11h30 je m'immerge avec Lorenzo pour prendre quelques photos du passage au fond. Jean-Jacques ne plongera pas et Roberto nous attendra vers -60m pour tourner quelques images. Plus tard Stefano ira s'en faire un tour dans la zone profonde et Flavio assistera Matthias pour faire des photographies dans les premiers mètres de la galerie.
Je pars 5' après Matthias et Flavio, je m'arrête au point convenu d'avance et suis aveuglé par une multitude de flashs. Leurs prises terminées, les deux photographes sortent tandis que je reste à attendre Lorenzo qui arrive après quelques minutes. Nous descendons lentement vers le fond en faisant quelques photos à environ -80m je remarque au plafond caché par une vire, une petite faille qui remonte verticalement. "Hourra" crie-je dans l'embout, un nouveau passage à explorer! Nous descendons sur le fond et je fais une pause avant de m'immiscer dans l'étroiture, je laisse ainsi à Lorenzo le temps de faire quelques photographies puis nous nous engageons et passons l'étroiture. Avec les appareils numériques on peut allégrement gaspiller les prises de vue. Au retour je ferme la marche. Au sortir de l'étroiture nous rencontrons Stefano avec lequel nous échangeons quelques plaisanteries par l'entremise de signes puis Lorenzo et moi continuons notre remontée. A -60m Roberto, avec ses phares, illumine la galerie comme en plein jour. Si l'on compte la puissance additionnelle des phares de Lorenzo et de Roberto, ce sont quasiment 1000W de puissance qui sont en action, cela me permet d'observer la galerie comme jamais je n'avais pu le faire auparavant. Nous refaisons surface après 85', satisfaits du travail de documentation que nous avons effectué. Le soir nous préparons nos bidons étanches pour transporter le matériel nécessaire à l'exploration post-siphon. Lorenzo lui, doit à cause de son travail, retourner à la maison.
Jeudi 5 nous arrivons à la source vers 10h30 nous effectuons un nouveau calibrage des senseurs des CCR, nous neutralisons la flottabilité des deux gros bidons et convenons des dernières dispositions avec Stefano et Flavio. Malheureusement cette fois-ci il est malaisé de donner une heure précise pour notre retour, car nous ne savons aucunement combien de temps l'exploration post-siphon nous demandera. Je dis que nous en aurons pour au moins 4 à 5 heures et qu'il suffira d'observer, pour savoir quand venir nous aider, les petites bulles que nous ne manquerons pas d'émettre durant notre remontée. Vers midi tout est prêt, nous nous préparons et entrons dans l'eau: Roberto emportera la camera vidéo et l'appareil photographique, moi j'emporterai les deux grands sacs et Jean-Jacques emportera un sac vide. Roberto m'attend au-delà de l'étroiture à -12m et filme le moment où je prends les sacs et les attache sur moi. Un signe OK et la descente commence, je palme avec un rythme soutenu afin de maintenir une bonne vitesse de progression malgré les deux sacs, vu leur encombrement, freinent un tant soit peu. J'arrive au premier stop de décompression et durant cette petite minute je vois arriver Roberto, puis m'élève toujours plus dans la galerie jusqu'à arriver dans cette partie où elle l'eau est restée trouble suite à notre passage d'il y a deux jours. J'émerge après 45', suivi de peu par Roberto et à peine sommes- nous déséquipés, Jean-Jacques arrive à son tour.
Nous discutons pour décider de la suite des événements : d'abord plonger le S2, puis l'escalade du puits. Par une petite escalade en libre du puits de 10m qui s'ouvre au-dessus du plan d'eau, je transporte les deux pesants bidons. Je les ouvre et en extrais le matériel dont j'ai besoin, j'enfile le harnais patiemment réalisé par Philippe Bigeard (Bibige), j'enlève le petites lampes du casque y laissant monté uniquement les deux lampes LED. J'utiliserai les palmes à voilure courte de Roberto, plus pratiques dans les milieux intimes et m'équipe des bouteilles en les accrochant selon une technique sidemount qui permet de décrocher plus facilement les bouteilles du harnais que ne l'autorisait la technique de plongée à l'anglaise traditionnelle.
Le dévidoir en main, je fais un dernier contrôle des détendeurs et avant même d'avoir commencé à plonger voici que l'un des Cyclons se met, sans raison apparente, en débit continu; je ferme la bouteille purge légèrement le deuxième étage et lorsque j'ouvre à nouveau la bouteille tout se passe normalement. Je ne suis plus habitué à plonger en circuit ouvert et en quand je pense à l'autonomie limitée de ces deux petites bouteilles ça ne me plaît pas beaucoup; mais me voici maintenant quand même prêt à plonger. Après peu de mètres, je trouve le fil que j'avais posé il y a quelques mois et il est cassé. J'attache le nouveau fil et avance rapidement jusqu'à l'endroit le plus étroit, que je passe facilement puis fais 5m de nouvelle exploration et arrive sur un éboulis. Je décide de m'arrêter car je suis devant deux autres étroitures et savoir quel chemin est le bon n'est évident. L'eau commençant à se troubler, j'attache le fil et m'en retourne. Je me coince dans l'étroiture mais après avoir déplacé un tant soit peu le casque et une bouteille, ça passe: je refais surface en peu de temps. Je décris brièvement la plongée à mes camarades puis nous remontons le puits jusqu'à l'endroit le plus commode pour nous changer.
Nous décidons de nous restaurer un peu et vu que le pain, le fromage le noisettes et l'eau ne manquent pas nous faisons un festin avant de nous remettre au travail. J'enfile un nouvel harnais, des chaussures de montagne et mon casque spéléo. Pour la circonstance, il remplacera avantageusement le casque de plongée, plus confortable à porter soit, mais moins sûr. Corde, perceuse, marteau, clef anglaise, spit et tout le matériel nécessaire pour l' escalade complètent l'équipement. Je commence à remonter le puits: les premiers 5m sont faciles, puis 5m encore. Je continue sans m'assurer, arrivé à 15m de hauteur environ je m'arrête pour observer et réfléchir à comment passer le passage particulièrement délicat, le plus délicat jusqu'ici, auquel je suis arrivé. Sous moi, j'entends la voix de Jean-Jacques qui me dit "ce n'est pas l'heure de planter un spit" ! A entendre cette injonction mes méninges commencent à s'agiter, je ne suis pas dans une place très commode mais après avoir sondé la roche avec le marteau, je trouve un endroit propice pour mettre un point d'ancrage. Perceuse, mèche. spit, plaquette, mousqueton, corde et voilà, c'est fait ! Je descends pour aller mettre aussi un ancrage à la base du puits et permettre ainsi à Jean-Jacques de m'assurer puisqu'il n'a pas encore enfilé son harnais. Me voici à nouveau arrivé au passage délicat, je m'y engage avec détermination et le passe escaladant 5m de plus et quand je constate que sur la droite la galerie ne continue pas, je perds un peu le moral. Bon, il reste cachée par un replat, la partie gauche à explorer.
Je continue et voici que après cinq nouveau mètres, le puits se termine et débouche dans une petite salle de peu de mètres de largeur. J'hurle à Jean-Jacques qu'il doit se préparer et me rejoindre dès qu'il aura fini d'installer la corde. Pendant que je l'attends, j'observe la petite salle et où je vois des concrétions blanches descendant du plafond et que l'on nomme parfois "spaghetti" en raison de leur forme éponyme (fistuleuses). Je suis vraiment content: Jean-Jacques me rejoint et c'est ensemble que nous nous engageons dans la galerie qui se déroule devant nous. Ses dimensions sont d'environ 3x5m: après avoir parcouru une centaine de mètres nous arrivons à une bifurcation et après nous être arrêtés un moment nous décidons de poursuivre dans la branche de gauche, mais voilà qu' après une vingtaine de mètres une étroiture nous contraint à ramper et à nous contorsionner pour la franchir. Nous suivons la galerie plus ample maintenant en évitant d'entrer dans les galeries plus étroites et de temps à autre nous glissons sur de la boue sèche. La beauté des concrétions ne le dispute qu'à leur nombre: des fistuleuse hautes de 1,8m avec un diamètre de 4 à 5mm, des excentriques et même une coulée de calcite blanche. Nous n'avons emporté ni perceuse ni corde et devons nous arrêter renoncer à effectuer une escalade très boueuse de quelques mètres. Nous sommes contents et de retour nous estimons à environ 300m la distance que nous venons de parcourir pour une dénivelée de 100m. Nous cherchons un endroit où installer un bivouac, mais nous ne trouvons rien d'idoine, aussi la prochaine fois ne ferons-nous à nouveau qu'une incursion, mais plus longue que celle que nous venons d'effectuer. Nous rejoignons Roberto qui nous a patiemment attendu à la base du puits. Quelles auront été ses pensées durant notre absence ? La progression spéléo est une nouveauté pour lui. Nous nous changeons rapidement, remettons à nouveau les bidons dans les sacs, puis descendons vers l'eau pour la plongée de retour. Mais mes tâches ne sont pas encore toutes terminées, je dois encore mettre de la fluorescéine dans le S2. Cela me préoccupe un peu car cette substance diluée dans l'eau annule la visibilité et je ne voudrais pas non plus en déverser sur ma combinaison, invalidant ainsi l'expérience.
Roberto part le premier avec une manchette déchirée et Jean-Jacques, lui-aussi part avec une combinaison entaillée sur environ 3cm au niveau des fesses en descendant le premier petit puits (je n'aimerais vraiment pas être à sa place). Je l'observe pendant qu'il se prépare hors l'eau pour éviter la sensation de bidet, puis à la fin il se décide, prend son sac et part comme il est. C'est maintenant à mon tour, je déverse la fluorescéine dans le second siphon et pars rapidement. La visibilité s'est réduite à 50cm à cause de l'argile, je parcours lentement les premiers 50m de galerie car je suis chargé comme un mulet, puis la situation s'améliore. Quelque chose dans mes bidons ne tourne pas rond, car je sens que l'un devient de plus en plus lourd. A -40m je m'arrête pour récupérer la bouteille de 15 l ; maintenant j'en ai la certitude, l'eau pénètre dans l'un des deux bidons et je dois faire vite si je veux réussir à le sortir. Je descends rapidement, tentant de freiner ma chute en gonflant le volume étanche, le gilet stabilisateur ainsi que les poumons du recycleur, je rejoins l'étroiture du fond la passe en roulant devant moi le bidon désormais rempli d'eau. A la sortie je dois m'armer de patience et je le retiens avec les mains en gonflant jusqu'à l'invraisemblable ma combinaison. Je commence à remonter en palmant en mobilisant toute la force qui me reste. A -70m je récupère aussi la bouteille de 20 l; je suis au bord de l'essoufflement et fais travailler le bypass du recycleur pour ajouter l'oxygène que je consomme abondamment. Je commence à ressentir des douleurs aux doigts et à la main gauche qui retient le sac lequel pèse maintenant certainement dans les 20kg. Je change le sac de main et la situation s'améliore. A -27m je rencontre Stefano, lui passe le sac et je peux finalement me détendre un tant soit peu et commencer à respirer normalement. Je rallonge un peu les étapes de décompression pour compenser les efforts nécessités par la plongée mais, ce nonobstant, à -12m je commence à avoir des douleurs aux avant-bras. Je passe tout mon matériel à Flavio. Il ne me reste plus qu'à remonter lentement en utilisant en guise d' indicateur de décompression la douleur dans les avant-bras. Je fais surface une vingtaine de minutes après tout le monde; dehors il fait sombre car c'est déjà neuf heures du soir, je respire encore quelques minutes l'oxygène de mon circuit fermé puis ce sont les opérations de chargement des véhicules qui commencent. Finalement à 23h00 nous mettons nos petits pétons sous la table et nous bâfrons en dégustant une savoureuse raclette........
Deuxième phase
Après une petite pause consacrée à conforter la pratique du CCR par Jean-Jacques nous retournons à l'exsurgence Bossi pour quelques jours; cette fois nous ne pourrons y consacrer que peu de temps vu l'emploi du temps chargé que nous avons chacun de notre côté. Nous emportons pour cette expédition plus de 100m de corde spéléo, des plaquettes, des mousquetons et des spits en nombre et une perceuse. Vu leur volume réduit, nous emportons comme nourriture des barres énergétiques et avons préparé 4 l d'eau dont la moitié a été additionnée de sels minéraux. Un vieil appareil photo avec un film dia de 36 poses nous servira pour documenter notre incursion.
Le lundi 30 mai premier jour de plongée, nous le consacrons à installer les bouteilles de sécurité et selon notre habitude elles seront installées au-delà de l'étroiture de -12m par Stefano et Massimiliano chargés de mettre en place l'ensemble du système de décompression et Jean-Jacques l'installera au-delà de l'étroiture de -89m une bouteille de 15 l. Ma tâche est de déposer une bouteille de 20 l à -72m et d'aller rendre visite à la galerie que nous avons vue avec Lorenzo durant les explorations de début mai, alors que nous tournions quelques reprises de la zone du fond.
Je pars dès que la ligne de décompression a été complètement installée, je récupère la bouteille de 20 l que je dépose à l'endroit prévu et atteint -80m où je tente d'amarrer le fil loin du fil principal mais ne trouve aucun endroit convenable pour l'installer. Je me contente d'un ancrage précaire, commence à remonter et m'introduis dans la fracture où je tente à nouveau à fixer le fil, mais la roche des parois bien que découpée ne le permet pas car la plupart des becquets saillants se brisent, la qualité de la roche étant ici comme dans toute la cavité de mauvaise qualité. Je suis heureux d'être en CCR car en circuit ouvert ce serait l' enième remontée difficile avec zéro de visibilité.
Soudainement je sens le fil mou; l'ancrage n'a pas tenu! Cela ne me préoccupe pas trop car la fracture remonte verticalement et l'autonomie du CCR est suffisante pour me permettre de faire face à une situation difficile. Les bulles que j'émets en montant augmentent la turbidité de l'eau c'est ainsi que j'atteins à -70m une zone ou la galerie se rétrécit. En redescendant, je suis obligé de rembobiner le fil puisque je n'ai pas pu le fixer et me laisse quasiment tomber jusqu'à -80m en enlevant toute trace de fil puisque celui-ci ne sert plus à rien.
Je commence à remonter vers la sortie et arrivé à -21m je vois passer Jean-Jacques qui entame-là sa deuxième plongée solo en CCR, il me salue et se laisse glisser dans le puits. J'éprouve une étrange sensation à le voir descendre sans émettre aucune bulle: j'étais toujours habitué à le voir avec son SCR à élimination passive et même si nous avons passé une dizaine de jours ensemble à s'entraîner avec son nouveau CCR cela me fait drôle. Je sors de l'eau, arrange le matériel et discute avec Stefano et Massimiliano, entre-temps pas de signe de Jean-Jacques. Je connais les temps de parcours mais n'arrive toujours pas à me l'imaginer avec un CCR et donc m'attends à voir des bulles d'air; l'eau frémit quelque peu quand Jean-Jacques arrive à -6m et rince les poumons: maintenant je suis tranquillisé. Stefano et Massimiliano rentrent à la maison pendant que Jean-Jacques et moi restons auprès de la source pour laisser sécher nos combinaisons. Nous passerons la nuit dans le canton du Tessin pour éviter les 90 minutes de route qui nous séparent de ma maison en Italie.
Le mardi, nous sommes à 9h00 du matin avec Stefano, qui nous aidera. Stefano porte à -21m le sac spéléo contenant les chaussures de montagne et deux gros bidons étanches faits par Giòsub et qui sont des modifications par rapport aux prototypes. Je pars le premier alors que Stefano est déjà dans l'eau, Jean-Jacques me suivant de près. Ayant pris les bidons, je me dirige vers le fond en palmant d'une façon décidée, je passe sans traîner l'étroiture du fond et ce sans même décrocher les bidons que j'emporte. (je me la rappelle à l'époque où je la passais en circuit ouvert à l'air, comme elle me paraissait étroite alors !), à-80m je prends la bouteille de 15 l et je la porte jusqu'à -40m. Une fois la salle à -25m atteinte, l'eau me semble étrange, verdâtre, je constate alors que dans cette zone la fluorescéine est encore présente en grande quantité. J'entre dans la galerie qui mène vers la sortie du siphon et la situation empire: tout est vert et la visibilité ne dépasse pas les 3m: vais-je moi aussi me transformer comme l'incroyable Hulk ? J'émerge après 43', me débarrasse du matériel et porte un premier bidon vers le camp de base avant d'aller attendre la sortie de Jean-Jacques, lequel arrive après 75' m'affirmant avoir perdu du temps dans la zone profonde.
Après avoir rangé aussi son CCR nous portons tout le matériel nécessaire au camp de base, enlevons les combinaisons et le souris pour endosser nos tenues spéléo. Après avoir "croqué un morceau" et "bu un godet" nous commençons à remonter le puits en prenant avec nous le matériel nécessaire à la reprise de l'exploration et effectuer les relevés topographiques. Ayant réparti les charges entre nous, nous commençons : les opérations de topographie ne sont pas rapides, en effet prendre les cotes, les reporter et dessiner cela demande son temps. Nous nous limitons à effectuer un relevé topographique de la galerie principale et à évaluer les variantes possibles pour de futures explorations
Arrivés dans les passages riches de concrétions très fragiles, nous faisons très attention à ne rien briser. Nous constatons dans les passages "propres" que nous avons exploré la première fois, qu' il y a plus d''argile car l'argile sèche affleure sur le strate concrétionné celui-ci s'étant rompu lors de notre précédent passage. Nous arrivons au point où nous avions la fois précédente arrêté l'exploration, nous préparons la perceuse et le matériel nécessaire pour monter et sécuriser la descente; je commence à grimper. J'escalade en libre et après 5m je plante un spit pour permettre à Jean-Jacques de me suivre. Nous avançons dans une galerie de forme circulaire de 5 à 6m de diamètre, nous atteignons après une quinzaine de mètres un petit puits descendant sur les parois duquel, heureusement, les prises et appuis divers ne manquent pas. Je descends dans le puits et à peine arrivé à sa base, je trouve une très belle vasque de 5m de long et 3m de largeur avec les marques des divers niveaux d'eau et d'étranges concrétions sur les bords. Je suis tellement émerveillé par ce que je vois autour de moi, que je ne remarque pas que je pose les pieds sur de l'argile humide et c'est ainsi qu'en un clin d'œil, je me retrouve les quatre fers à l'air ! Jean-Jacques en bon camarade d'exploration ne peut retenir un éclat de rire sonore.
A la fin de la vasque nous rencontrons une galerie descendante que je parcours tout seul sur une dizaine de mètres. L'argile qui recouvre maintenant ma combinaison, fait que je glisse plus que de coutume et comme je ne vois pas la fin de ce puits descendant je n'ose pas continuer sans corde. Nous complétons donc la topographie de cette intrigante galerie et commençons à rentrer. Nous laissons tout le matériel dans un endroit protégé et nous descendons vers notre matériel de plongée grâce auquel nous pourrons regagner l'air libre. Nous sommes peu chargés car nous laissons une grande partie de notre matériel sur place. Je connais maintenant tellement bien le siphon que je le passe en 35' ! Stefano et Massimiliano nous attendent, il est 21h00 et le soleil est déjà couché même si la nuit n'a pas encore étendu son ombre sur toute la vallée. Nos preux compagnons n'hésitent pas à se mouiller pour récupérer le matériel, les combinaisons spéléo qui doivent être séchées et les batteries de la perceuse ainsi que les lampes qui sont à recharger. Arrivés à Lecco, une bonne pizza suivie d'un sommeil réparateur nous servent de viatique jusqu'au lendemain.
Nous consacrons le mercredi au travail et aux emplettes car nous devons acquérir de nouvelles cordes pour nos escalades et descentes de puits. Nous passerons la soirée dans un délicieux petit restaurant où nous nous régalons avec des spécialités saisonnières. Après un tel dîner accompagné de vins fins et suivi d'une grappa millésimée il n'est vraiment pas facile de se lever de bonne heure le lendemain, mais la grotte nous attend ! Nous arrivons avec notre retard académique traditionnel à la Bossi où Stefano nous attend avec impatience. Pendant que nous préparons les sacs arrivent Amaiel, Nick et un de leurs amis dont malheureusement je ne me rappelle plus le nom. Nous échangeons quelques plaisanteries et Stefano s'équipe avec sa combinaison humide pour aller déposer nos sacs à -15m. Nous, nous réussissons à terminer de nous équiper avant que le soleil ne tape sur la vasque et nous partons. Le rendez-vous avec Massimo, Flavio et Stefano sera pour le soir car nous ne savons pas à quelle heure nous reviendrons.
Le passage du siphon se fait sans encombre, je réussis à le passer en 35' alors que Jean-Jacques le fait en 45'. L'attente du compagnon de plongée dans le noir absolu est agréable, en particulier lorsque ses lumières viennent créer des effets magiques dans la vasque. A nouveau ce sont les mêmes plaisanteries teintées d'ironie entre moi et Jean-Jacques, la mise à l'abri de nos CCR Voyager ainsi que de nos phares fournis par Giòsub, la petite escalade qui nous emmène au camp de base où nous nous changeons et commençons la remontée du puits. Cette fois, j'emporte avec moi l'appareil photo pour tenter d'immortaliser certains des passages que nous rencontrerons. Arrivés à la petite salle où mardi dernier je suis tombé, je m'apprête en ami fidèle à immortaliser la chute, qui ne saurait manquer de Jean-Jacques; ce qui me paiera en retour de ses précédentes moqueries. Jean-Jacques n'en croit pas ses yeux en me voyant me mettre à l'affût, relève le défi en faisant le pas et bien entendu se retrouve lui aussi les quatre fers en l'air sous les feux du flash. Après m'être toutefois enquéri de l'état de mon ami (lequel a soixante-cinq ans bien sonnés), je laisse encore échapper quelques plaisanteries.
Le travail reprend ses droits: la perceuse à la main je mets un spit et commence à parcourir cette belle galerie où après une vingtaine de mètres je rejoins une intersection. Jean-Jacques s'apprête à topographier alors que moi j'observe le déroulement de la galerie et décide de ne pas emporter plus loin avec moi la perceuse et les batteries. Les concrétions sont innombrables et les dépôts d'argile que le passage du temps à quasiment minéralisé prennent des formes étranges. Après une centaine de mètres nous arrivons aux pieds d'une coulée de calcite blanche dont j'estime l'escalade à 5m. Vu le risques de glissade, je ne me risque pas à cette escalade. Pendant que Jean-Jacques se repose je m'en retourne pour prendre la perceuse et la batterie. Je commence à scruter la paroi rocheuse devant moi et aperçois une vire à environ 3m au-dessus de moi, facilement atteignable par la droite et j'y monte. Je fais un trou dans la paroi pourrie y mets un spit, une plaquette, un mousqueton, une corde et Jean-Jacques m'assure depuis le bas; je me cale sur l'ancrage de tout mon poids et entame un pendule pour rejoindre une stalagmite sur laquelle je me hisse, une fois atteinte; encore un mètre et me voilà sur une petite plate-forme à niveau longue de 10m et large de 4m. Le puits, concrétionné, continue à monter mais malheureusement l'argile n'est que trop présente; à sa base un petit lac à l'eau limpide est alimenté par de l'eau d'écoulement en goutte à goutte.
J'assure avec la corde Jean-Jacques qui me rejoint. Il ne nous reste plus qu'à entreprendre l'énième escalade. Après avoir a nouveau cherché la voie la plus favorable je recommence à grimper. Je monte de 1, 5m et la prise se détache. Mais, par bonheur je ne tombe pas. Je décide d'attaquer à la perceuse en plantant un spit et utilisant la sangle pour faciliter l'escalade et après en avoir mis trois j'atteins le sommet du puits à environ 8m de hauteur. J'avance en rampant dans l'argile mouillée, en ancrant la corde de manière à ce qu'elle serve de main courante dans les environs immédiats du puits. Mais à mi-parcours la batterie faiblit. J'avertis Jean-Jacques de se méfier de cette dernière partie. L'environnement est très différent: l'argile qui recouvre les parois rend l'ambiance sinistre mais après 20m une nouvelle surprise nous attend : un siphon dont les bords sont d'argile pure et qui se trouble immédiatement dès que nous mettons les pieds dans l'eau.
Nous sommes face à un siphon suspendu situé à environ 150m d'élévation par rapport au petit lac où nous avons laissé notre équipement. Nous reviendrons certainement un jour faire un petit tour dans cet "aimable" siphon. Nous rentrons et chemin faisant nous faisons de brèves incursions dans les galeries et passages latéraux pour vérifier si l'on y trouve une suite. Nous récupérons enfin la batterie de secours et en profitons pour planter des spits dans des puits secondaires, mais ayant épuisé notre réserve de mousquetons nous ne pouvons pas les descendre. Nous voici arrivés au camp près du petit lac; nos provisions sont épuisées mais il reste de l'eau "énergétique" dans laquelle nous avions dissous des sels vitaminés. Nous décidons quoi emporter et quoi laisser pour un prochain retour, car nous comptons bien revenir pour continuer tant l'exploration que la topographie. Selon mon habitude j'émerge après 35' de plongée et trouve Flavio, Massimiliano et Stefano un peu ennuyés. Ils se préparent rapidement pour aller récupérer tout le matériel que nous avons laissé à partir de -35m. Jean-Jacques lui émerge après 45' de plongée. Il est maintenant 21h30. Charger le matériel dans les véhicules nous demande encore une heure et lorsque nous prenons congé les uns des autres chacun sait que nous nous retrouverons pour continuer à explorer cette surprenante source qu'est la Bossi...